"Il surprend toujours par la fraicheur, l'intensité, la radicalité et cette liberté d'allure qui singularisait déjà son premier enregistrement" ★★★★★
Disciple d’Alfred Brendel, premier prix du Concours Telekom-Beethoven à Bonn en 2015, Filippo Gorini faisait il y a trois ans une apparition fracassante au disque avec de très inspirées Variations Diabelli (Alpha, Diapason d'or, cf. n° 661). Son nouvel album livre un programme plutôt ambitieux et exigeant pour un virtuose d'à peine vingt-cinq ans. Non seulement il fait preuve d'une technique exceptionnelle, mais il surprend toujours par la fraicheur, l'intensité, la radicalité et cette liberté d'allure qui singularisait déjà son premier enregistrement.
Aussi éloigné des grands exaltés (Richter, Gilels) que des cérébraux affirmés (Serkin, Pollini), il joue la Sonate «Hammerklavier (1819) immense et audacieuse construction mentale par laquelle Beethoven entre dans sa dernière manière avec la même assurance, la même sûreté d'analyse que ses Diabelli. Les reliefs, les à-pics, les abîmes du premier mouvement, avec son développement serré en fugato, sa reprise profondément transformée, sa conclusion longue et tourmentée, sont franchis sans coup férir. Gorini soigne sa sonorité, ses phrasés, ses inflexions dans le scherzo et Adagio sostenuto, probablement le plus beau mouvement lent de sonate jamais écrit - mais il manque ici à ce dernier un rien d'intériorité et de mystère. Dans la fugue finale en revanche, il atteint un haut niveau de maîtrise architecturale de décantation.
Sans rivaliser avec les lectures passionnantes de lucidité et de limpidité de Serkin (DG) et de Kovacevich (Warner), Gorini a parfaitement saisi que la Sonate en ut mineur op. 111 (1822) n'existe que par l'attirance des contraires, la force de ses antithèses et la compensation de ses extrêmes. Plus dialectique que métaphysique, son approche va tout de même très loin dans le jusqu'au boutisme d'un Allegro élancé abrupt, dominé par son thème central, sans aucune détente ni éclaircie . A cette puissance concentrée succède l'Arietta , statique sur le plan harmonique mais infiniment variée dans le mouvement. Gorini y privilégie l'ivresse pianistique, mais n'a-t-il pas tout le temps pour mûrir et faire preuve d'une éloquence davantage visionnaire?